La question de l’originalité est complexe. Appréciée en France de manière subjective, comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur », la notion cadre parfois mal avec l’objet concerné. Notamment, en matière d’art appliqué, les juges du fond renvoient souvent, pour caractériser la condition d’originalité, aux antériorités, à la physionomie propre de la création, au parti pris esthétique ou encore à l’impression d’ensemble produite… On peut s’en émouvoir et dénoncer la contrariété au droit d’auteur. On peut aussi tenter de comprendre et même peut-être d’expliquer ces choix.

Il faut dire que le cumul de protection entre le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur a conduit à des errements jurisprudentiels opérant une confusion entre nouveauté et originalité, dans laquelle l’antériorité côtoie, parfois non sans quelque artifice, les choix personnels du créateur.

Pourtant, la Cour de cassation a depuis un certain temps affirmé que « la notion d’antériorité [est] inopérante dans le cadre de l’application de la propriété littéraire et artistique » (au sujet d’un bouton, Cass. 1re civ., 11 févr. 1997, pourvoi n° 95-11.605). Le qualificatif utilisé pourrait laisser croire à une exclusion totale de cette temporalité en droit d’auteur. L’exemple classique de Desbois, décrivant deux peintres peignant successivement le même paysage, a vocation à tracer la frontière pédagogique.

Mais la réalité est sans doute plus complexe. Certes, l’absence d’antériorité ne permet pas de déduire l’originalité. En revanche, l’existence d’antériorités influence incontestablement, en jurisprudence, l’appréciation de l’originalité, tendant à complexifier sa caractérisation. Si la forme querellée laisse une impression de « déjà-vu », qu’elle ne présente donc pas de « physionomie propre » traduisant « un parti pris esthétique », est-elle susceptible de projeter la personnalité de son auteur ?

Cependant, cette tendance jurisprudentielle est-elle en conformité avec le droit de l’Union européenne ? On se souvient que la CJUE, au terme d’une jurisprudence nourrie, a fait de la notion d’originalité, puis désormais de la notion d’œuvre, une notion autonome de droit de l’Union, procédant à une harmonisation forcée à partir de directives spéciales, pour en déduire une interprétation uniforme sur le fondement de la directive 2001/29, considérée comme le « droit commun » du droit d’auteur. L’arrêt Brompton (CJUE, 11 juin 2020, aff. C-833/18) résume parfaitement les apports de la jurisprudence européenne en la matière. Au préalable, il faut rappeler, comme l’a fait la CJUE dans cet arrêt, et avant dans l’arrêt Cofemel (CJUE, 12 septembre 2019, aff. C‑683/17), que les œuvres d’art appliqué n’échappent pas au droit commun et sont donc soumises aux mêmes conditions d’accès à la protection. En substance, deux conditions sont requises : d’une part, l’originalité implique que l’objet « reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier » (Brompton, pt 23) ; d’autre part, l’exigence d’expression (ou de forme) implique l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, comme la Cour l’avait déjà énoncé dans l’arrêt Levola, refusant la protection d’une saveur de fromage (CJUE, 13 nov. 2018, aff. C-310/17).

Cette analyse européenne n’empêche pas nécessairement la prise en compte de la nouveauté comme un des critères d’appréciation de l’originalité. En effet, les choix libres et créatifs ne sont pas exclusifs d’une certaine nouveauté. La nouveauté est même susceptible d’en faciliter la caractérisation. Serait-elle alors nécessaire mais non suffisante ?

De même, la finalité esthétique ne doit pas être systématiquement rejetée. Certes, elle n’est pas une condition autonome d’accès à la protection par le droit d’auteur. L’article L. 112-1 du CPI, interdisant la prise en compte du mérite et de la destination, s’y opposerait. Sur ce point, l’arrêt Cofemel a d’ailleurs été très clair. Mais il est vrai que le parti pris esthétique permet aussi, traditionnellement, la protection des formes non exclusivement fonctionnelles. Dès lors, si l’esthétique ne permet pas de déduire l’originalité, il peut aussi participer à sa caractérisation pour les œuvres d’art appliqué.

 

Où l’on voit que, plus que de s’exclure, les notions se complètent si on en fait une bonne (re)lecture…